Blues du soir, espoir ?

Cette semaine n’avait pas souri à la jeune femme. Happée par le tourbillon des études, elle n’avait pas eu un moment à elle. Elle mettait du cœur à l’ouvrage mais cette semaine, les professeurs s’étaient donnés le mot à propos des dossiers et autres travaux personnels. Salle de cours, bibliothèque, lit avaient été les trois seuls endroits qu’elle avait fréquentés. Alors que maintenant le week-end pointait le bout de son nez et que la masse de travail s’amenuisait, ses préoccupations refirent surface.

Elle n’avait pas pu aller voir ce jeune serveur à cause d’un gentleman qui l’avait raccompagné chez elle. Maintenant, elle était convaincue qu’elle devait avoir une longue conversation avec ce dernier. Cependant, elle n’arrivait pas à se décider. Elle s’assit à même le sol est sorti son tarot. Fermant les yeux pour se concentrer, elle bâtit les cartes.

Retournant son tirage, elle fronça les sourcils. Elle caressait les cartes alors qu’elle tentait de décrypter l’étrange signification qui se présentait devant elle. Il y avait cette proximité avec une chose qu’elle désirait mais dans un même temps, les cartes lui indiquaient un éloignement, quelque chose qui se allait changer brutalement… Mais il y avait aussi un signe d’éternité ou de postérité. Et une rencontre. Avec elle qui était au centre de tout cela.

C’était confus, trop confus… Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas eu à faire à un tirage aussi obscur. Elle n’arrivait même pas à démêler le futur du passé. Elle pensait que l’éternité représentait soit Enzo, soit Ethan mais ce pouvait tout aussi bien être une action qui allait marquer les esprits. Mais on lui promettait aussi l’accomplissement d’une recherche, c’était sûrement le moins obscur pour elle : elle savait ce qu’elle allait découvrir.
Mais pourquoi une perte ? Que pouvait-elle perdre ? Et cette rencontre ? Celle-ci ne s’était pas encore produite… Soupirant, elle rangea ses cartes. Elle devait aller voir ce serveur.

Descendant les escaliers quatre à quatre, elle passa en coup de vent dans le salon où son oncle faisait ses comptes sur son ordinateur. Elle enfila à la va-vite ses chaussures en déposant une bise sur la joue de son oncle. Depuis qu’elle vivait avec lui, une certaine complicité s’était créée entre les deux.

« Je sors, je serais revenue dans deux ou trois heures. »

Sans attendre une réponse, elle sortit. Jetant un coup d’œil dans la rue, il n’y avait rien de remarquable. La nuit était tombée depuis peu et la majorité des habitants de Salem était chez eux. Il n’était pas bon de sortir le soir. Elle savait où allait. Ses pas étaient sûrs et sa démarche tout autant.

Elle sonna en bas d’un grand immeuble. On lui ouvrit la porte et elle monta doucement les marches de l’escalier. De longues minutes plus tard -trois quarts d’heures ou une heure plus tard, elle sortit. Dans l’obscurité, on ne pouvait pas deviner que des larmes commençaient à couler sur ses joues. Elle s’était promis pourtant.

Elle s’arrêta quelques mètres plus long et s’assit sur les marches d’un perron. Les lampadaires éclairaient faiblement la chaussée. Il fallait qu’elle se recompose un visage avant de revenir chez elle autrement son oncle lui poserait des questions. Et puis elle avait encore une heure à tuer.

*Que vais-je faire ?*

Audrey avait entendu que quelqu’un s’approchait d’elle. Elle avait prié pour que celle-ci ne s’arrête pas ; mais, à l’évidence, l’avait entendu et ne devait pas être du genre à laisser un laissé pour compte. A moins que ce soit un cruel être de la nuit qui cherchait une victime. Dans ce cas, elle se battrait… peut-être. Levant ses yeux humides sur l’inconnu, elle reconnut Enzo.

Le flot de larmes qu’elle avait essayé de contenir se déversa et brisa les frêles barrières qu’elle avait essayé d’ériger. Fût-ce un inconnu, elle aurait résister, elle avait trop d’orgueil pour s’effondrer devant un tiers qui n’était qu’un visage. Mais devant la vampire, elle ne put résister ; alors elle pleurait, elle s’épancher sur l’épaule de son ami incapable de faire autre chose.

Les secondes s’égrainèrent très lentement ou était-ce elle qui avait perdu la notion du temps ? Elle aimait ce contact, bien que seule sa chaleur réchauffait les deux corps. Elle avait juste besoin de se réconfort. Elle n’avait jamais autant pleuré sauf une fois : lors de la mort de ses parents mais personne n’avait été là pour la consoler, enfin pas comme Enzo le faisait en ce moment. Elle sentait son corps se détendre peu à peu, pour enfin que ses larmes se tarissent.

Elle attendait une question. Elle viendrait, c’était inévitable. Qu’allait-elle lui dire ? Elle pourrait lui mentir sans vraiment état d’âme mais l’accepterait-il s’il découvrait la vérité ? Ce serait comme une trahison. Et elle-même ne pardonnerait pas puisqu’elle ne comprendrait pas les raisons. Il fallait le vivre pour cela.

« Je… un blues passager »

Ce n’était pas totalement faux mais elle éludait le plus important. D‘ailleurs son regard était peu convaincant. Elle n’arrivait plus à faire figure, c’était peut-être la première fois qu’elle se présentait à nue. Prenant une grande respiration, elle fuyait le regard d’Enzo.

« Désolée, je… » essaya-t-elle d’articuler alors qu’elle repartait dans une crise de larmes.

Plus les larmes coulaient, plus elle sentait qu'elle était prise dans un environnement cotonneux. Elle se sentait lasse et fatiguée. Elle avait envie de rentrer chez elle et de dormir. Oui, un sentiment de lassitude comme si elle avait trop vécue. Elle avait trop vécue. En six mois, elle avait du grandir, on l'avait obligé à grandir ; la vie l'y avait forcée. En six mois, elle avait pris 10 ans. Des déluges lui étaient tombés dessus. Ses pensées étaient trop décousues pour le moment alors elle décida d'arrêter de parler.

Elle entendait Enzo lui parler mais sa voix était lointaine et elle avait du mal à comprendre réellement le sens de ses paroles. Elle essayait de se concentrer mais ses problèmes revenaient comme des affreux fantômes. Elle doutait que lui raconter sa vie et le pourquoi qu'elle était là l'aiderait grandement. Il lui restait un petit espoir, un tout petit espoir.

"Je vais rentrer à New York." dit-elle un peu près calmée.

Elle prit une grande respiration essayant de trouver un mouchoir dans son imperméable. Elle en trouva un ratatiné mais il pouvait servir à assécher ses larmes qui s'étaient taries. Un pâle sourire s'afficha sur ses lèvres pour mourir aussitôt.

"Je suis désolée" répéta-t-elle comme si ces trois mots pouvaient la sauver.

Elle sentait que le vampire s’en faisait pour elle. Il voulait savoir ce qui se passait et c’était légitime. Elle aurait fait de même cependant, elle aurait peut-être comprit ses silences et se serait contentée de le consoler. Mais elle était trop fatiguée pour argumenter.

« Je n’aurais jamais du venir ici, c’était une grosse erreur. Tu ne t’es jamais demandé pourquoi je suis venue faire mes études ici plutôt que d’aller dans une université plus cotée ? »

C’était une simple question à laquelle elle aimerait avoir une réponse. Oui, que pensaient les autres de son arrivée ici ? Ce n’était pas seulement parce que son oncle vivait ici. Non, il y avait plus que cela et quiconque avait un peu de bon sens l’aurait deviné.

Audrey ne regardait pas Enzo. Elle n’avait pas ce courage simplement. Le regarder l’aurait influencé. Elle ne voulait plus être influencée, elle voulait clairement avoir les pleins pouvoirs sur ce qu’elle disait. Elle aimait sincèrement le petit vampire. C’était l’une des rares personnes à l’avoir compris immédiatement. Elle savait qu’elle lui ferait de la peine… mais ce ne sera pas la dernière dans cette vie infinie.

Son sourire était pâle alors que son regard se contentait de fixer l’horizon. La vie n’était qu’une succession de déceptions suivie de petits bonheurs. Elle sentit une pointe d’égoïste dans la voix de son ami. Et c’était normal, il fallait être suffisamment égoïste dans la vie. Elle ne l’abandonnerait pas, non ; elle serait toujours là présente. Les lettres, les visites et les invitations pourraient suffire à ce qu’ils ne s’oublient pas.

« Les gens apprécient une image. Peu de personnes ici se soucient réellement de moi. »

Elle le regarda un instant. Un seul petit instant. Puis elle reposa son regard sur l’horizon. Cela n’avait duré qu’un court moment. Si furtif, qu’elle n’avait pas eu le temps de s’imprégner des sentiments d’Enzo. Elle voulait juste lui montrait qu’elle était présente et que ce qu’elle allait lui révéler était des plus sérieux.

« Alors je vais te raconter une histoire. Une jolie histoire. » elle semblait rire d’elle-même mais sa voix était plus grave, plus monocorde « Il était une fois une jeune princesse qui avait des parents aimants, une situation des plus enviables et toutes les choses qu’elle pouvait souhaiter. Et puis un jour, elle rencontra un jeune homme. Il était vraiment beau. Elle en tomba follement amoureuse. Un amour qui fut partagé. Il était tellement gentil, il faisait preuve d’intelligence et il était tellement romantique. »

Elle s’était détendue. Son sourire était plus franc et ses intonations trahissaient un bonheur passé qu’elle regrettait mais qui a cet instant reprenait vie.

« Puis, il voulu qu’ils se marient. Malheureusement, ce n’était pas un prince bien que pour elle, il en avait toutes les qualités. Et puis, elle était encore bien jeune pour songer à cela. Alors, elle demanda un moment de répit, un moment de réflexion. C’était bien naturel pour une telle décision. »

Elle s’était tendue petit à petit.

« Et puis, ses parents moururent. En clin d’œil. Sans qu’elle s’y attende. Ce fut une grande catastrophe. Mais un malheur n’arrive jamais seul. Elle perdit aussi son amour avec une simple lettre. Il était parti loin d’elle sans autre explication. »

Elle se retourna et regarda dans les yeux Enzo. Toute la puissance des sentiments qu’elle ressentait transparaissait. Elle voulait qu’il sente toute la peine qu’elle avait éprouvée, qu’il comprenne pourquoi elle était comme cela.

« Il lui avait écrit qu’il l’aimait grandement mais qu’il ne fallait pas qu’elle essaye de le retrouver parce qu’un jour il reviendrait et tout serait comme avant. En deux jours, la petite princesse avait perdu les trois personnes qui comptaient le plus pour elle.
Elle ne pouvait concevoir que la vie la laisse seule ici. Alors elle partit à la recherche de son amour. Ce qui la mena à Salem. Tu connais Salem non ? C’est une bien jolie ville à vrai dire. Mais deux camps s’y affrontent. Et son prince y était mêlé d’une façon ou d’une autre. »

Enzo commençait-il à comprendre ? Il restait encore bien des zones d’ombres…

« Une fois à Salem, elle le chercha sans relâche jusqu’à ce qu’un jour un gentil serviteur lui écrive quelques lignes de poésie. Elle reconnu immédiatement les vers que lui avait écrits son prince. Elle décida d’aller voir ce serviteur.
Le prince n’est pas content de la savoir ici. Il avait laissé des consignes strictes. Elle devait rentrer immédiatement d’où elle venait. Il ne pouvait pas se montrer à elle, ce serait trop dangereux mais il la suppliait de partir. Maintenant, la princesse est là, à raconter sa vie à un tendre ami. Qui malheureusement ne peut rien pour elle. »

Audrey voyait bien qu’Enzo ne comprenait pas. Elle-même n’était pas sûre qu’elle aurait compris. Elle prit sa respiration comme si ce qu’elle allait dire était difficile. Ce le serait, enfin pour lui. La new-yorkaise s’était faite une raison depuis le temps. Ses idées étaient très claires. Pour la première fois de sa vie, elle avait l’impression de faire le réel bon choix par elle-même.

Enzo ne comprenait pas. Elle était désespérée. Si lui ne pouvait pas comprendre alors qui pourrait l’aider ? Cela confirmait qu’on ne pouvait compter que sur soi-même ici bas. Elle arrivait tout de même à sourire. C’était si simple maintenant, elle allait rentrer chez elle et vivrait sa vie comme elle l’aurait dû. Et puis, tout serait plus simple ; elle se laisserait porter par la vie.

Audrey ne comprenait pas. Elle ne comprenait pas pourquoi il voulait à tout prix la retenir. Elle repartirai comme elle était venue : sans faire de bruit, doucement. Elle quitterait un jour la maison de son oncle sans prévenir personne sur un coup de tête. Ses valises dans le coffre, elle roulerait sans un regard en arrière. Oubliant par la même occasion sa vie à Salem. Elle n’était personne ici.

Le monde ne comprenait pas. Que comprenait-il d’ailleurs ? Rien. Même à l’échelle mondiale, il ne comprenait pas. Alors pour son petit problème, il ne pouvait rien. Elle lui en voulait moins qu’à Enzo. Oui, elle en voulait à Enzo. Elle lui en voulait de vouloir la retenir. Elle lui en voulait de ne pas comprendre.

Ses sentiments étaient peut-être injustifiés. Probablement. Sûrement. Elle était autant coupable que lui. Elle était aussi égoïste. Elle voulait partir et elle partirait, elle n’aimait pas Salem, elle n’aimait pas ses habitants, elle n’aimait pas la peur qu’elle ressentait à chaque sortie. Elle n’aimait rien ici.

« Je ne crois pas que tu le connaisses. »

Une phrase douce qui allait contraster avec ce qui allait suivre. Elle ferma les yeux quelques instants avant de les rouvrir prenant son courage à deux mains. Elle se leva pour prendre plus de poids en plongeant son regard dans celui du vampire.

« Je ne supporte plus Salem, tu sais ce que cela fait d’avoir la peur au ventre à chaque fois que tu sors ? de ne pas t’ouvrir aux autres parce que tu ne sais pas qui tu as en face de toi ? Je ne peux plus vivre ici, Salem me consume de l’intérieur et je n’ai pas envie de finir folle.
Mon destin, je l’ai déjà défié en venant ici. J’aimais, j’aime tellement Paul que j’étais prête à tout pour le revoir et être avec lui. Et si je reste ici, rien de tout cela ne pourra se faire. Je ne sais pas dans quoi il est mêlé ici mais il est dangereux pour moi qu’on nous voit ensemble. C’est pour ça qu’il m’a contacté grâce à ce poème. Il me demande de partir autant pour lui que pour moi. »